L’adolescence est un moment particulier de transition entre l’enfance et la vie d’adulte, que chacun traverse à sa propre manière. Il n’y a pas véritablement de règle ni de suite logique immuable dans ce processus. Cette singularité observée nous pousse à penser l’adolescence comme un processus, plus ou moins délimité dans le temps. Cette transformation débute avec la maturation du corps, la puberté, et donc une modification corporelle, hormonale et biologique, qui oblige à un remaniement psychique tenant compte du corps en évolution.
Ce temps de changement est un temps « de crise », accompagné d’une fragilité narcissique. Ce qui était fonctionnel auparavant pour l’enfant, n’est plus possible ou acceptable pour l’adolescent. Il doit désormais reconstruire des repères dans un environnement qui ne le perçoit plus comme un enfant. En ce sens, la crise est positive car mène à un renouvellement du psychisme de l’adolescent et le pousse à intégrer les modifications inhérentes à la puberté. Il faut toutefois noter que la crise n’est pas forcément bruyante, exacerbée ou pénible, ni pour le jeune ni pour les parents.
Le processus
Voici quelques éléments phares du processus de l’adolescence, comme passage de l’enfant dépendant à l’adulte autonome. Premièrement, l’adolescent doit pouvoir expérimenter, essayer des nouvelles choses. C’est la période où « on se cherche » et où l’envie de découvrir, de faire ses expériences est fondamental pour le bon développement du jeune. Les comportements exploratoires, comme la recherche de nouveautés, passent également par un rejet temporaire et une mise à distance de la cellule familiale. Dans la même dynamique, l’adolescent va se rapprocher de ses pairs et augmenter les relations sociales dans son groupe. Ceci peut s’accompagner d’une agressivité plus marquée envers les parents. L’exploration passe également par des comportements à risques et une recherche de nouvelles sensations corporelles. Nous observons durant l’adolescence, un intérêt accru pour les substances qui altèrent la conscience comme l’alcool ou les drogues. Ce phénomène est typique de l’adolescence, mais n’est pas à banaliser car n’est pas sans risque.
Ce passage peut être difficile pour l’adolescent, mais également pour les parents et les proches, qui observent ces comportements, et qui sont souvent impuissants et démunis face à la force des pulsions qui guident le jeune. Ces manifestations, typiques de l’adolescence, ont un substrat neuro-biologique et sont communes à d’autres espèces. Toutefois, la stabilité et l’amour inconditionnel des parents permet à l’adolescent l’exploration et de faire des mouvements de vas-et-viens entre la maison et l’extérieur tout en bénéficiant de la sécurité et de la stabilité du cadre familial.
Aux yeux de la loi, dans la plupart de pays européens, la majorité civile est accordée à l’âge de 18 ans. Pourtant, de nombreuses études ont démontré l’immaturité du cerveau à cet âge légal. Plus précisément, le cortex préfrontal (siège des fonctions cognitives supérieures telles que le raisonnement rationnel, la mentalisation, la prise de décision et le jugement moral) est la partie qui mature en dernier et termine son processus de maturation entre 21 et 25 ans.
Pour observer ou évaluer le fonctionnement psychique d’un adolescent, l’âge n’est alors pas un bon indicateur. Il est plus pertinent et informatif d’évaluer où en est l’adolescent dans son processus. Est-il bloqué dans une impasse ? Le processus est-il en cours ? Quelle est la position actuelle de l’adolescent ? Ici, le cas par cas est nécessaire et la place à la subjectivité de l’adolescent est primordiale.
La fin du processus d’adolescence se dessine lorsque le jeune a fait des choix et qu’il investit le chemin choisi. Durant l’adolescence, au même titre que les connexions neuronales s’élaguent, les choix et intérêts se restreignent et se fixent sur les centres d’intérêt qui seront constitutifs de sa propre identité en tant qu’adulte. Aussi, les conduites à risque ont diminué et le jeune se sent plus responsable de ses actes et devient acteur de sa vie. Il est capable d’être seul en société et d’occuper une place distincte, par ses propres moyens. Sur le plan affectif, il va vers une meilleure gestion et stabilité émotionnelle.
La métaphore du homard
Françoise Dolto, éminente pédiatre et psychanalyste utilise « la métaphore du homard » pour parler de l’adolescence. À l’image du homard, l’enfant subit de multiples changements et « mue », se métamorphose. Il doit alors quitter sa carapace pour en développer une autre, adaptée à ses changements. Durant cette période, il est particulièrement vulnérable face au monde extérieur. Ce moment est à la fois une opportunité de prendre une nouvelle place dans l’environnement en tant qu’individu, mais également une période de fragilité psychique pour un jeune qui est en proie à de multiples questionnements et à qui il est demandé de trouver sa voie. L’adolescent doit faire face à de nombreux choix, dont certains avec une grande incidence sur son futur, notamment les choix professionnels, de formations mais aussi sur les plans amoureux ou sociaux. Cette injonction à l’autonomie et à la responsabilité peut être une source de stress et de sentiment d’oppression important pour un adolescent, parfois encore en pleine quête identitaire.
Quelques statistiques
Selon l’OMS, les troubles émotionnels sont fréquents chez les adolescents, notamment les troubles anxieux(qui se manifestent sous forme de crises de panique ou d’une inquiétude excessive) qui sont les plus répandus dans cette tranche d’âge. On estime que 3,6 % des jeunes de 10 à 14 ans et 4,6 % des jeunes de 15 à 19 ans souffrent d’un trouble anxieux. D’après les estimations, la dépression frappe 1,1 % des adolescents âgés de 10 à 14 ans et 2,8 % des adolescents âgés de 15 à 19 ans. Nous observons alors une vulnérabilité plus élevée chez les adolescents plus âgés. Certains symptômes sont communs à la dépression et à l’anxiété, notamment les changements d’humeur rapides et inattendus.
L’anxiété et les troubles dépressifs peuvent avoir de graves répercussions sur l’absentéisme et le travail scolaire. Le repli sur soi peut exacerber l’isolement ainsi que le sentiment de solitude et la dépression peut conduire au suicide. Selon l’Office Fédérale de la Statistique, la cause principale de décès en Suisse chez les 15-24 ans est le suicide, suivi des accidents de la route. Les principaux facteurs de risque favorisant le passage à l’acte suicidaire sont la présence de troubles psychiques ou d’avoir déjà fait une tentative de suicide.
Offrir un espace d’écoute
Il est fondamental de répondre rapidement et de manière adéquate aux besoins des adolescents présentant des troubles mentaux. Ainsi, selon l’OMS, il faut éviter le placement en institution et la surmédicalisation des adolescents et donner la priorité aux approches non pharmacologiques. L’adolescence est un moment propice au développement de troubles psychiques, au vu des remaniements nécessaires pour correspondre aux critères de la société. La solitude, le harcèlement, la pression sociale et la consommation de substances sont des facteurs de risque pour les adolescents. Au contraire, l’exercice physique, le sentiment d’appartenance un groupe, une estime de soi positive et robuste, des liens familiaux favorables ainsi qu’un cadre soutenant sont des facteurs de protection de la santé mentale.
Il est parfois ardu de distinguer le comportement « normal » adolescent, d’un fonctionnement pathologique. Lorsque ce comportement pose des problèmes ou questionne l’entourage par sa dangerosité, déviance ou étrangeté, il est alors nécessaire d’agir rapidement et de s’adresser à des professionnels pour évaluer la situation.
Il est important de souligner que plus la prise en charge est précoce, plus elle est efficace et permet de réduire les risques d’une installation de manière prolongée d’un trouble psychique. La détection précoce d’un trouble psychique chez l’adolescent réduit considérablement les risques que celui-ci s’installe sur le long terme. Mei et collaborateur, par le biais d'une méta-analyse parue en 2021, ont démontré qu’une prise en charge précoce des patients à haut risque de développer un trouble psychotique (par exemple schizophrénie) réduisait de 43% les chances de développer un trouble psychotique durable.
Ainsi, la santé psychique des adolescents doit faire l’objet d’une profonde considération de la part de toute personne qui entoure le jeune, afin de maximiser les chances de prise en charge rapide et de soins en cas de nécessité.
Cet article me permet d’introduire un prochain sujet qui portera sur le lien entre réseaux sociaux et santé mentale. Ce texte s’orientera principalement autour de l’image du corps en lien avec les critères tyranniques de beauté qui circulent sur les différentes plateformes.
Références
Mei, C., van der Gaag, M., Nelson, B., Smit, F., Yuen, H. P., Berger, M., Krcmar, M., et al. (2021). Preventive interventions for individuals at ultra high risk for psychosis: An updated and extended meta-analysis. Clinical Psychology Review, 86, 102005.
Santé mentale des adolescents. (n.d.). . Retrieved March 15, 2023, from https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/adolescent-mental-health
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